Depuis toujours, le secteur du jeu vidéo s’est vu rythmé par des batailles d’éditeurs que les plus passionnés qualifient comme de véritables guerres. La plus connue d’entre elles est sûrement celle menée par Sega et Nintendo au début des années 90; mais pendant que ces deux-là se tiraient la bourre à coups de mascottes, un autre « consolier » entama une guerre contre un des éditeurs les plus influents du moment. Le consolier, c’est SNK, qui le cul entre deux chaises tente alors de proposer l’expérience la plus proche de l’arcade à la maison avec sa console aussi surpuissante que chère: La Neo Geo. L’éditeur, c’est Capcom, qui en 1991 a bouleversé l’industrie en donnant naissance au roi incontesté de l’arcade: Street Fighter II. Alors que la cinquième (ou presque) itération du jeu de combat s’apprête à démonter une fois de plus son écrasante domination; revenons ensemble sur ce conflit ne manquant pas de vices et d’humour.
Burning Knuckle !
1990: SNK lance sa console de jeux la Neo-Geo AES. L’éditeur/développeur était alors un des acteurs de l’arcade, son succès le plus connu à cette époque est sûrement le run n’ gun Ikari Warriors sorti en 1986. Malgré la rentabilité du marché des machines à pièces, SNK étant loin d’être le seul à connaître de beaux jours dans les salles, l’industrie japonaise sentit petit à petit le vent tourner depuis le succès relatif de la génération 8-Bit qui offrit le luxe d’une expérience de jeu RAPPELANT celle de l’arcade. C’est avec ce leitmotiv qu’attaquèrent alors les acteurs du marché console, pourquoi offrir une expérience rappelant l’arcade quand on peut carrément ramener l’arcade à la maison ? SEGA s’y lance dès 1988 avec sa Mega Drive mais cette dernière continue d’offrir des « inferior versions » face aux bornes impressionnantes conçues par l’éditeur, le résultat reste néanmoins saisissant.
C’est sur ce même principe d’Arcade à la maison, ou « Sugoi gēmu o tsurete kaerō » (« ramenons de supers jeux à la maison ») que SNK lance sa Neo-Geo AES et son système pour bornes d’arcade dédié, le Neo-Geo MVS. Le principe est simple: SNK s’engage à proposer la même expérience sur les deux supports, avec des dates de sorties proches voire similaires. Le concept est génial, sauf qu’il a un prix ! 200 dollars par jeu et 400 dollars la console en Amérique, en prenant en compte l’inflation c’est juste énorme ! La console peinera à trouver son public du fait de son prix mais aussi de son catalogue manquant de caractère, jusqu’à ce que Capcom lui donne la clé pour obtenir la réputation que l’on lui connait, mais pas de la façon dont on pourrait le croire.

Le monde chico guerrier
Street Fighter II déboule en 1991 sur Arcade, et c’est là que Capcom s’est mis à dominer le game. L’Arcade a connu un avant et un après Street Fighter II, les gens du monde entier s’agglutinent alors dans les salles pour se hadokener la gueule après les cours ou durant la pause-déjeuner. Pour un SNK et sa stratégie cross-platform, la situation est bien trop belle pour ne pas en profiter. Street Fighter II ne sortira sur consoles de salons qu’en Juin 1992, soit 15 mois après la sortie initiale du titre. Vous voyez venir le coup ? Si SNK parvient à sortir un jeu de combat sur ses deux supports avant la sortie consoles de Street Fighter II, c’est le jackpot assuré.
Ainsi naquit Garou Densetsu: Shukumei no Takakai, plus connu en Occident sous le nom de Fatal Fury: King of Fighters. En plus d’avoir la réputation d’être LE JEU qui a permis à SNK de repousser sa faillite de quelques années (merde j’ai spoilé), Fatal Fury premier du nom est connu comme « la réponse de SNK à Street Fighter II » et donc comme « le déclencheur d’une guerre de 10 ans ». Ne mâchons pas nos mots, au risque de m’attirer la foudre des quelques rares pro-SNK qui sévissent encore sur la toile, Fatal Fury est un Street Fighter II du pauvre, ça ne veut néanmoins pas dire qu’il est mauvais ! SNK a finement joué son coup en sortant un jeu qui tient debout dans des délais très courts et pour cela la firme a beaucoup de mérite.
Les deux titres sont assez similaires, certains inputs de coups spéciaux s’effectuent de la même façon, on y affronte dans les deux cas des mecs venus des quatre coins du monde même si l’action ne se passe qu’aux États-Unis sur le titre d’SNK. Fatal Fury se caractérise par un petit plus au niveau du gameplay, son action sur deux plans différents qui n’entre malheureusement en compte qu’à la guise du CPU. Malgré un roster assez conséquent sur le papier, le jeu ne propose que trois persos jouables (Terry et Andy Bogard et leur pote Joe) même en multijoueur, c’est NUL ! SNK passe ici à côté de l’intérêt primordial de Street Fighter II : le jeu compétitif. Un jeu de combat avec trois persos et trois boutons réduit considérablement les possibilités du multijoueur, il est clair qu’avoir une jolie mise en scène et un poil de scénario est un plus, mais ce n’est pas ce que le grand public recherche ! Au final, Fatal Fury sera un socle, une base sur laquelle SNK s’appuiera pour peaufiner sa technique, un peu comme Street Fighter II qui, malgré un aboutissement de base beaucoup plus marqué, enchainera lui aussi les versions pour offrir l’expérience la plus exquise possible.
C’est ainsi que les deux ne cesseront de se renvoyer la balle à coups de jeux de combat pendant 10 ans. Malgré son statut initial de suiveur, il est bon de noter qu’SNK a réussi à faire transpirer Capcom avec des titres de plus en plus réussis. Le climax étant atteint avec la formule « Special » de Fatal Fury proposant le meilleur des deux titres précédemment sortis, gommant ainsi bien des défauts que l’on trouvait dans le premier opus. La maitrise des deux plans est meilleure, le roster est cette fois-ci conséquent et le jeu possède même des systèmes de dashs et de contres, qui arriveront bien des années plus tard dans Street Fighter. Autre signature de chez SNK, les « cross-over » ou croisements des univers; en effet dans Fatal Fury Special on retrouve Ryo Sakazaki de Art of Fighting, le deuxième jeu de combat d’SNK; dans la même logique on peut retrouver Clark et Ralph d’Ikari Warriors ou Athena et Kensou de Psycho Soldier dans le fameux King of Fighters, qui est d’ailleurs un melting-pot de plusieurs univers SNK. Cela peut sembler anodin, mais les fans de jeux de combat sont férus de fan-service, Capcom s’y mettra d’ailleurs à partir de Street Fighter Alpha, où des persos de son beat’em all à succès Final Fight tels que Guy, Cody ou Sodom rejoindront le roster du jeu de combat, puis en mélangeant les persos de Darkstalkers et Street Fighter dans Puzzle Fighter.

La concurrence devient plus saine, chacun s’inspire de l’autre et c’est à un redoutable adversaire que Capcom doit maintenant faire face; du moins au Japon. En Occident les licences SNK n’ont jamais décollé et n’ont toujours concerné qu’un noyau dur de passionnés, l’empreinte de Street Fighter et dans un autre style de Mortal Kombat étant bien trop présentes dans les esprits. Le sort qu’a connu la Neo Geo malgré des titres forts comme King Of Fighters ou Metal Slug n’a pas aidé la compagnie à s’affirmer auprès des joueurs, elle a néanmoins continué à alimenter cette concurrence jusqu’au bout, pour le meilleur des deux compagnies.
En vrac, SNK et Capcom ont donné naissance à Darkstalkers, Rival School, Samurai Showdown, X-Men VS Street Fighter ou encore The Last Blade, les deux n’ont cessé de repousser les qualités de leurs jeux. En résulte en 1999 Garou: Mark Of The Wolves, version ultime de Fatal Fury, et à Street Fighter III: Third Strike, version de Street Fighter qui est à mon sens la plus aboutie d’un point de vue gameplay et direction artistique. Du côté de la scène du vs fighting, les sociétés ont toutes les deux connues le succès, avec un quasi sans faute pour Capcom qui a vu quasiment tous ses titres être représentés à l’international, là où quelques King Of Fighters seulement ont vraiment marqué les esprits (98 pour ne citer que lui).
SAIKYO !!!
On imagine en lisant tout ceci que la coexistence a toujours été honorable et loyale, il n’en est rien. Les japonais sont des hargneux, je n’ai pas réussi à trouver suffisamment d’infos sur les conditions de développement des titres SNK et Capcom des années 90 mais il ne fait aucun doute qu’elles devaient être épouvantables, il suffit de voir à quelle vitesse à répondu SNK avec Fatal Fury. On se rappelle que pour King of Fighters XIII, les employés s’étaient plaints de conditions de travail très difficiles, et nous étions là bien loin de la pression que pouvait avoir SNK dans les années 90.
Pour ce qui est des faits « amusants », il faut tout d’abord savoir que Takahashi Nishiyama et Hiroshi Matsumoto, deux des hommes derrière la majorité des jeux de combat SNK sont des anciens de chez Capcom s’étant barrés après avoir terminé leur travail sur Street Fighter premier du nom ! Les jeux de combat Capcom et SNK possèdent donc un héritage commun. Sûrement agacés par les « libres inspirations » qu’ont pris SNK pour faire Fatal Fury et Art of Fighting, Capcom a crée Dan Hibiki qui est en réalité une caricature stupide et faible de Ryo et Robert, les deux héros de Art of Fighting.

Dan est littéralement le bon à rien du jeu, ses boules de feu éclatent à trente centimètres de ses mains et qu’importe le jeu où il apparait, il figure inévitablement comme le perso le plus nul du jeu, ou pas loin. Pour l’anecdote, dans son histoire, Dan dit vouloir se venger de Sagat qui a tué son père, sur un artwork officiel de Street Fighter II on peut d’ailleurs voir Sagat tenir le corps du présumé père de Dan dans un kimono orange qui rappelle encore une fois Ryo Sakazaki.
Plus vicieux, lors de la sortie de Street Fighter II, SNK n’a pas été le seul à vouloir sa part du gateau. Un petit éditeur nommé Data East sortit Fighter’s History en 1993, jeu de combat 2D très inspiré du titre de Capcom. Le jeu aurait pu mourir étouffer dans son anonymat, sauf qu’excédé par cette présumé copie de leur jeu, Capcom attenta un procès contre Data East pour plagiat. Data East gagnera le procès, la cour américaine considérant que les similarités attaqués par Capcom étaient des « standards du genre ». L’année d’après, SNK éditera la version « plus » de Fighter’s History nommée Karnov’s Revenge sur le système Neo-Geo.
The Millenium Fight 2000
Cette rivalité plus ou moins saine prendra fin de façon naturelle à la fin des années 90. Il est important de remettre les choses dans leur contexte : bien que les deux firmes aient passé dix ans à se tirer la bourre à coups de jeux de combat interposés, le combat Capcom/SNK est un remix du mythe de David contre Goliath. La marque Neo-Geo de SNK n’a été qu’une série d’emmerdements sans fin, jusqu’à la Neo Geo Pocket Color qui enterrera la firme telle qu’on la connaissait alors. Capcom de son côté n’a jamais capitalisé uniquement sur ses jeux de combat pour perdurer, des séries comme Resident Evil, Dino Crisis ou encore Megaman contribuaient aussi à la réussite économique de l’entreprise.
Le grand final de cette ère est un accord fixé entre les deux firmes : la création de jeux de combat où figureraient les protagonistes des deux éditeurs; une sorte de rêve pour tout ceux qui se sont toujours demandés qui était le meilleur entre Ryu et Kyo Kusanagi. Les termes du contrat étaient clairs : Deux jeux de combat par éditeur, celui qui distribue le jeu rafle tout, l’autre ne fait que « prêter sa licence ». SNK débute les festivités en 1999 en distribuant SNK vs Capcom: The Match of the Millenium sur Neo Geo Pocket Color mais les qualités du titre n’offriront pas une seconde jeunesse à la Neo Geo Pocket pour autant.
Capcom va par contre violemment enfoncer la porte en 2000 avec Capcom vs SNK: The Millenium Fight 2000 sorti en Arcade puis sur Dreamcast. Malgré quelques défauts propres aux jeux de combat proposant autant de combattants (sprites recyclés, équilibrage foireux), le jeu sera un grand succès qui aura le droit à une suite un an plus tard: Capcom vs SNK 2: Mark of the Millenium 2001. On y trouvera des défauts similaires, mais le titre recevra un meilleur accueil auprès des critiques (Famitsu lui a mis 35/40, contre 30/40 pour le premier) et des joueurs. Le jeu s’est fait remarquer sur la scène e-sport, certains joueurs français réputés sur SFIV comme Yamazaki93 ou LordDVD se sont à l’époque faits les dents dessus.
Ce meilleur accueil s’explique sûrement par l’exhaustivité des styles proposés par le titre. Vous êtes un joueur de SF3 ? Le jeu vous propose un style basé sur les « parrys« , vous préférez les air guard de Street Fighter Alpha ? Un style le propose aussi. Cette richesse de gameplay provoquera malheureusement aussi sa perte au niveau compétitif, puisque des bugs d’inputs assez techniques rendaient le jeu totalement pété et déséquilibré. Si vous voulez en savoir plus, on vous invite à lire l’article de VSFTV. Je retiens personnellement de cette série une direction artistique très recherchée (en dehors du patchwork de sprites), chaque combattant possédait un artwork « version Capcom » et un « version SNK » (réalisé par Shinkiro, l’artiste phare de chez SNK qui travaille d’ailleurs maintenant chez Capcom). Les musiques de Satoshi Ise me trottent encore dans la tête quinze ans après et les arènes de combat étaient magnifiques (le Pao Pao Café du premier épisode pour ne citer que lui).

Comme il en était question dans le contrat, SNK ne gagnera pas un centime sur le succès des deux épisodes, cette collaboration aura donc été à sens unique. Histoire de mettre un terme au contrat, SNK Playmore, la société née sur les cendres d’SNK, publiera et développera SNK Vs Capcom: SVC Chaos en 2003 sur Neo-Geo AES/MVS puis sur Playstation 2 et Xbox. Le jeu ne brillera pas par son succès et c’est de cette façon un peu bizarre que sera marqué la fin d’une grande époque.
Nine… Eight… Seven…
Durant les années 2000, les jeux de combat 2D se sont petit à petit effacés, écrasés par la concurrence pleine de polygones représentée par Soulcalibur et autres Dead Or Alive. Les jeux de combat 2D, réalisés pixel par pixel, nécessitent plus de temps et d’argent que l’industrie le permet, ce n’est pas un marché rentable. Dans le cœur des joueurs le style n’est pas mort et continue de sévir sur la scène e-sport (le célèbre combat Daigo vs Wong sur Third Strike date de 2004) mais Capcom cherche la rentabilité quand SNK Playmore cherche juste à rester debout. D’un King of Fighters par an dans les années 90, il faudra attendre 4 ans entre King of Fighters XI (2005) et King of Fighters XII (2009).
C’est finalement en 2008 que Capcom se sort les doigts en ayant trouvé le compromis parfait entre l’exigence du gameplay 2D et la rentabilité du graphisme 3D : un Street Fighter IV en 2.5D, comprenez par là que le jeu est modélisé entièrement en 3D mais que l’action se déroule toujours sur un seul et unique plan. La suite on la connait, le jeu a rencontré un succès monumental qui a complètement ravivé un genre qui vivait jusqu’alors dans le passé. Capcom a compris que la pérennité d’un jeu de combat se trouvait dans sa communauté et a tout fait pour que le jeu soit le digne descendant de Street Fighter II dans le cœur du plus grand nombre.

SNK Playmore de son côté a connu a regain d’amour avec un King of Fighters XIII toujours tout en 2D, qui possédait un potentiel incroyable mais qui s’est flingué tout seul du fait d’un netcode atroce (le online n’est plus une option aujourd’hui, il est indispensable pour faire vivre le jeu) et d’un équilibrage plus que discutable. C’est franchement dommage compte tenu de la qualité générale du titre qui était parvenu à recevoir un accueil de la part des joueurs et de la presse qui ne s’était plus vu depuis (au moins) King Of Fighters 2002.
Pour cette année 2016, SNK Playmore, racheté en 2015 par une société chinoise pour échapper encore une fois à la mort, a mis la 2D de côté au profit d’une 2.5D pour King of Fighters XIV, déjà moquée par les joueurs tant elle fait pâle figure face à ses concurrents directs Guilty Gear Xrd et Street Fighter V. Mais on le sait, les graphismes ne font pas tout et le nouveau producteur de cet épisode, Yasuyuki Oda, qui a participé à la création de Fatal Fury et Art of Fighting, semble motivé à offrir au jeu une réputation honorable.
Aujourd’hui, Capcom ne semble même plus considérer son ancien rival, préférant fricoter avec Bandai Namco et son Tekken à coups de cross-over et de guests. Verra-t-on un jour naître un Capcom Vs SNK 3 ? Les chances sont proches du zéro absolu. Yoshinori Ono, le producteur de la série Street Fighter semble vouloir déployer toute son énergie dans la série-mère. Et le monsieur a beau nous dire que si les fans le désirent il pourrait entreprendre l’idée d’un troisième épisode, on attend dans ce cas qu’il nous donne d’abord des nouvelles de Darkstalkers, réclamé par les fans depuis une éternité. Qui plus est, un tel partenariat n’aurait aujourd’hui plus aucun intérêt économique pour Capcom.
Quel excellent article, du vécu, du vrai !
King of Fighters était une saga magique lorsqu’il y avait derrière les Arts of Fighting et les Fatal Fury, car KOF reprenait l’actualité de ces deux sagas et on avait un véritable aspect « cross-over ». Quel dommage qu’Art of Figthing n’ait jamais rencontré le succès qu’il méritait. Je maintiens que l’épisode III est un des plus beaux jeux 2D de la Neogeo.
Je rêve d’un Capcom vs SNK 2, mais avec le style graphique des deux firmes ça me décevrait peut être.
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