« Regarde ça, c’est nouveau tout le monde en parle au collège ça a l’air trop bien ! » Intrigué par les propos de mon grand-frère, Pokémon Bleu atterrira sous le sapin à noël 1999. Je ne lâchais plus la vieille Game Boy, je ne parlais que de ça avec mon meilleur qui avait eu la cartouche rouge. Les musiques, l’univers, les petits monstres, l’aventure… Nous étions totalement conquis. Début 2000, TF1 annonce l’arrivée de la série animée. Liesse générale à la maison et à l’école : c’était la Pokémania. Aujourd’hui, elle refait surface avec la sortie de Pokémon GO. Analyse d’un phénomène de masse.
Attrapez-les Tous !
Avant toute chose, présentons le jeu sans entrer dans les détails. Pokémon Go est développé par Niantic Labs, une filiale de Google fondée en 2010 par John Hanke (connu notamment pour avoir créer Google Earth, rien que ça). Le petit studio sort de l’ombre en 2012 en confectionnant Ingress sur mobile (on en avait déjà parlé dans l’interview de Laurent Checola sur le transmédia) qui a connu un succès d’estime avec un peu plus de 14 millions de téléchargements en janvier 2016. Ingress proposait aux joueurs de prendre part à deux équipes et prendre le contrôle de plusieurs points reliés sur la carte en utilisant les coordonnées GPS. Le monde réel devient un terrain de jeu et permet de se mouvoir dans un jeu de rôle dans votre ville, votre département, votre région à travers une interface.
Pokémon Go c’est la même qu’Ingress. Le système de jeu se présente comme un Control Field (comprendre ici prendre possession des arènes disséminées dans la carte) entre trois factions :
- la Team Instinct (Intuition) représentée par Electhor, le Pokémon légendaire de la foudre, en jaune
- la Team Mystic (Sagesse), représentée par Artikodin, le Pokémon légendaire de glace, en bleu
- Team Valor (Bravoure), représentée par Sulfura, le Pokémon légendaire de feu, en rouge
Mais il va plus loin que son petit frère vu qu’il permet de prendre le rôle d’un dresseur de Pokémon, comme dans le concept original. Un rêve d’enfant qui devient réalité. Il a d’ailleurs été le point de départ de cette collaboration entre le studio et The Pokémon Company, affiliation responsable du markéting et de la licence chez Nintendo :
« […] saisir l’essence du jeu original : un enfant qui joue dehors à capturer des insectes et créatures. Nous voulions créer un jeu qui motive les gens à sortir, avoir une activité physique, découvrir des endroits et s’amuser avec leurs amis. »
⎯ John Hanke
Être le plus déterminé TULULU TUTULU
Contrairement à son prédécesseur, la capture des petits monstres qui apparaissent sur l’écran du téléphone en réalité augmentée est un atout phare. Voir les créatures qui ont bercé notre enfance se mouvoir et combattre par l’intermédiaire du smartphone est tout à fait enchanteur pour le peu qu’on ait gardé notre âme d’enfant.
De plus, les Pokémon choisis pour le lancement de l’application sont ceux de la première génération, c’est-à-dire ceux de 1996 qui se sont gravés dans la tête de tous les enfants des années 90 via les jeux vidéo sur Game Boy et la série animée. Ce choix est très judicieux de la part des concepteurs. La base de joueurs visée n’est pas directement les enfants, mais résolument la tranche d’âge 20-35 ans pour titiller leur fibre nostalgique. Cela n’est pas sans rappeler LEGO Dimensions qui attire les trentenaires en misant sur des licences bien connues par ceux-là.

Bien que le jeu soit agréable à jouer, il en reste, POUR LE MOMENT, très basique. Passé la découverte des premières heures de jeu, capturer moult Ratata et Roucool présents en surnombre dans ma ville m’a quelque peu gavé. Et je ne parle pas des différents bugs et crashs du jeu qui n’arrêtent pas de survenir et qui freinent ma progression : la quasi-totalité de mes amis et personnes que je côtoie, non-initiés aux jeux vidéo et sont beaucoup plus avancés que moi ! Comment rivaliser même lorsque les arènes sont tenues par des dresseurs qui passent leur temps dehors et à mettent des monstres ultras puissants ? Pas grand-chose.
Je me limite comme beaucoup d’autres utilisateurs (qui ont attendu la sortie française pour la plupart) à marcher pour faire éclore mes œufs et trouver un énième Nosferapti et à essayer de trouver des Pokémons que je n’ai pas encore en parcourant les rues de la capitale, fouinant tel un rapace près des PokéStops où de l’encens attirant les Pokémons a été dispersé par un autre dresseur. C’est dommage, mais je pense que quand je ferai évoluer mes Pokémons ou lorsque j’en capturerai de plus puissants, je partirai à la conquête des arènes pour combattre les dresseurs adverses au nom de mon équipe.
La vraie force du jeu est d’y jouer à plusieurs. Soit avec des amis qui sont de la même équipe que vous (ou pas) ou bien avec d’autres dresseurs que vous rencontrez lors de vos pérégrinations. Les défauts du jeu sont vite oubliés, la coopération ou l’affrontement prend le dessus et le contact humain joue pour beaucoup. Finalement, même si le jeu n’est en soi pas si ouf que ça, on se surprend à le lancer quotidiennement pour vérifier quels Pokémons se cache aux alentours, ouvrir le jeu pour compter nos pas lorsqu’on doit marcher pendant un petit moment ou bien partir expédition !

Bien qu’il reste encore beaucoup de points à améliorer (les combats… du tour par tour svp ;_;), le jeu est une véritable bouffée d’air frais pour la licence qui permet de faire jouer des personnes qui n’ont pas touché à un Pokémon depuis 10 ans.

Sociabilisation +15
Le résultat est sans appel dès la mise en ligne du jeu aux États-Unis en juillet dernier. Mais ça, vous le devez le savoir vu le raz-de-marée médiatique qu’on subit depuis des semaines. D’ailleurs, il n’est pas que médiatique. Il suffit de sortir un peu dehors pour voir masse personne en train d’y jouer, alors que le jeu n’était même pas encore disponible officiellement en France !
Rares sont les productions qui engendrent un tel engouement.
On assiste littéralement à une gamification (ludification en français) de la société par l’intermédiaire de Pokémon GO. Bon, déjà ça veut dire quoi ? Pour faire simple :
- Les comportements des joueurs changent et affectent leurs vies quotidiennes : par exemple, les chasseurs en herbe privilégient les trajets à pied ainsi que les transports en commun pour trouver des Pokémons, mais aussi pour faire éclore leurs œufs (mais attention à ne pas dépasser les 15km/h sinon ça ne marche pas :v)
- Les codes propres aux jeux vidéo (ici des jeux Pokémon) sont transposés au monde réel : on marche pour gagner en XP, on découvre des endroits de la ville qu’on ne connait pas pour trouver des créatures et des PokéStops, comme pour avancer dans sa quête.
Ce qui frappe aussi lorsqu’on observe les joueurs c’est qu’il y a une mixité sociale : c’est difficile d’établir un profil type d’utilisateur tellement les différences sont importantes. C’est simple : TOUT LE MONDE JOUE. Des petits, des grands, des femmes, des hommes, des filles, des garçons, des bobos, des mecs de tess, des urbains, des ruraux, des jeunes, des vieux, de toutes les origines et ethnies ! D’après une étude menée par SurveyMonkey pour Forbes, 46% des utilisateurs ont entre 18 et 29 ans. Bref, citez-moi un jeu qui réuni autant de monde au profil différent et qui met tout le monde d’accord ? Pokémon GO est un jeu qui réunit les gens, brise les barrières sociétales et est un excellent moyen de communication direct, une sorte de prétexte pour parler à d’autres joueurs à proximité. Ce n’est pas du tout un point de détail dans une société de plus en plus individualiste, où paradoxalement, on n’a jamais été si loin d’autrui avec autant de moyens de communication (culture du selfie, toussa toussa… tu connais).
Followed by in-college demographic – anyone surprised? @Forbes @surveymonkey_i #PokemonGo https://t.co/rlBMxdisLA pic.twitter.com/zWlxyslq7x
— SurveyMonkey (@SurveyMonkey) 27 juillet 2016
Cette obsession du social ne date pas d’hier pour les créateurs des petites bêtes. En 1996 déjà, Nintendo, Game Freak et Creatures Inc ont réfléchi les premiers jeux Pokémon pour qu’ils obligent les joueurs à intéragir entre eux: Il fallait s’acheter une cartouche bleue ou rouge, mais sans un camarade possédant l’autre cartouche, impossible de remplir le fameux PokéDex. Il faut aller parler aux autres enfants pour leur demander quels Pokémons ils ont ou pas pour faire du troc ou de combattre pour voir qui est le plus fort.
Durant les regroupements, ou même dans la rue, les joueurs ne restent pas la tête rivée sur leurs téléphones portables. Ils communiquent entre eux, se rassemblent, s’entraident, se donnent des conseils et des informations pour trouver des Pokémons, forment des stratégies pour prendre une arène ennemie, constituent des groupes hétérogènes alors qu’ils ne se connaissaient pas il y a cinq minutes… La puissance de sociabilisation de l’application est énorme.
Des PokéStops, une arène : j’accueille de nombreux dresseurs à la recherche des Pokémon les plus rares ! #PokemonGO pic.twitter.com/18DXH6POTu
— La tour Eiffel (@LaTourEiffel) 26 juillet 2016
Une autre vertue de l’application est sa capacité à aider des personnes atteintes de troubles d’anxiété sociale. « Ils sont distraits par le jeu, et cela brise le cycle de l’anxiété » explique le psychologue Ganz Ferrance d’Edmonton, Canada. Le fait qu’il faille sortir pour jouer, marcher et donc rencontrer des personnes donne un cadre, un contexte, qui agit comme une sorte de catalyseur pour les gens souffrant d’anxiété, de dépression et même de trouble obsessif compulsif précise le psychologue.
Hyperréalité
D’un point de vue sociologique et ethnologique, le phénomène Pokémon GO peut-être très intéressant à analyser. Loin de moi l’idée de me prendre pour un expert, mais c’est amusant de voir comment les différents peuples ont accueilli le jeu. Au Japon, le gouvernement japonais a mis en place une campagne de sensibilisation aux dangers que peuvent rencontrer les adeptes de chasses aux petits monstres de poche. Plusieurs lieux interdisent aussi les chasses au sein de leurs établissements comme le célèbre temple d’Izumo au Japon.
Cela pose une question d’une « législation Pokémon », d’un débat espace privé/public qui n’a finalement pas lieu d’être, car on oublie que les Pokémons ne sont pas réels… Mais les attitudes adoptées par les joueurs font qu’on commence à penser qu’ils sont bel et bien présents autour de nous et changent nos comportements. C’est la question de l’hyperréalisme et du rapport de l’individu à l’espace théorisé par Jean Beaudrillard et Umbertto Eco (le « faux authentique ») qui surgit de nulle part. Toutefois, ce n’est pas lié à Pokémon Go, c’est plutôt la transformation de notre pratique numérique dans l’environnement urbain (ou dans l’espace en général) qui est remis en question en accordant un peu trop d’importance au virtuel au profit du réel.
Malheureusement, les gens n’ont pas attendu Pokémon GO pour se faire renverser par une voiture, tomber d’une falaise ou écraser un gosse au volant parce qu’ils utilisent leur portable de manière totalement irresponsable. Limiter et interdire des pratiques liées à Pokémon GO serait du non-sens, tout comme rentrer dans une centrale électrique et risquer sa vie pour capturer un Magnéti.
Application #PokemonGo : accdt d’une dresseuse sr l’A4. Pr @RoutePlusSure, conducteurs comme piétons, soyez prudents pic.twitter.com/PZDUEpB3R0
— Préfet de l’Aisne (@Prefet02) 25 juillet 2016
⚠ #PokemonGo en France: attrapez-les mais pas n’importe comment! pic.twitter.com/mNJ5Ycxr1k
— Pompiers Paris (@PompiersParis) 21 juillet 2016
L’apogée du capitalisme 2.0
Le jeu n’a pas attendu très longtemps pour avoir des détracteurs, c’est le mot français pour « haters ». De nombreux témoignages anonymes l’affirment :
« Ceux qui aiment pas Pokémon GO c’est des jaloux. » — Barack O
« […] ils sont nés à 25 ans c’est des gens ils ont pas eu d’enfance. » — Elon M
Qui peut être assez chiant pour ne pas s’émerveiller devant un petit Pikachu, Bulbizarre, Carapuce ou Salamèche qui apparait dans le salon confortablement assis sur le canapé ?! Et bien pas mal de personnes.
Beaucoup n’ont pas connu Pokémon étant plus jeunes et certains y voient cette activité de chasse aux créatures imaginaires d’un mauvais oeil pour des raisons un peu obscures…
Néanmoins, certaines déclarations ubuesques au possible au premier abord ne le sont pas tant que ça. Lorsqu’on y regarde de plus près, certaines ne sont pas si tirées par les cheveux vu l’ampleur que prend le phénomène.
Le réalisateur Oliver Stone parle de « totalitarisme » ou de « capitalisme de surveillance » lors d’une conférence au cours de la Comic Con 2016 à San Diego. Le bougre venait promouvoir son film sur Edward Snowden (intitulé : « Snowden ») qui avait révélé l’ampleur des programmes de surveillance d’agences américaines de renseignement. C’est dans ce contexte qu’il s’est exprimé sur le phénomène.
D’après lui, les développeurs du jeu « ont investi des sommes d’argent énormes dans ce qu’est la surveillance, c’est-à-dire l’extraction de données. Ils explorent les données de toutes les personnes présentes dans cette salle pour savoir ce que vous achetez, ce que vous aimez et surtout votre comportement ». Et de conclure son intervention par une parole aux accents prophétiques. « Vous allez assister à une nouvelle forme de, franchement, société robot, où ils sauront comment vous vous comportez. C’est ce qu’on appelle le totalitarisme. »
Oliver Stone n’a pas tout à fait tord. Niantic a déjà mis au monde Ingress dont le modèle économique se base, comme tout free-to-play, sur des objets à acheter contre de la monnaie réelle pour progresser plus rapidement dans le jeu. Mais à l’époque, Niantic appartenait encore à Google. Le géant américain voit plus grand que de simples bannières publicitaires ou achats in-app, qui sont les deux modèles économiques dominants des applications « gratuites ». Grâce aux infos glanées et fournies généreusement par l’utilisateur (il faut un compte Google pour jouer à Ingress, tout comme Pokémon GO) couplé à la géolocalisation de celui-ci : Google est capable d’afficher des publicités extrêmement ciblées.
En effet, le jeu connait en permanence la position du joueur et ce qu’il aime en fonction de son profil Google+ (ptdr) et ses requêtes sur le moteur de recherche. Il est tout à fait possible de proposer une offre, comprendre ici une publicité, qui ne sera accessible que pour vous, utilisateur d’Ingress pour vous inciter une ultime fois à entrer dans cette pizzeria d’où émane une odeur appétissante… Par exemple, il fallait se rendre PHYSIQUEMENT dans une agence d’assurance AXA pour obtenir dans le jeu le bouclier le plus puissant du jeu.
MA-BOULE.
Google avait même annoncé des partenariats avec des centres commerciaux dans les grandes villes des pays où le jeu est disponible pour implanter des portails (l’équivalent des PokéStops) pour nous inciter à pénétrer dans ces temples de consommation parfaitement réels.
Petite précision qui nuance les propos du réalisateur : Pokémon GO peut se lancer en se connectant avec un compte Google, mais il est aussi possible de jouer en créant un compte sur le « Club des Dresseurs » lié à pokemon.com où on ne vous demandera que votre date de naissance. C’est tout.

Qu’est-ce qui empêche Niantic de proposer la même chose sur Pokémon GO ? RIEN DU TOUT ET D’AILLEURS C’EST EN CHEMIN !
En effet, John Hanke a confirmé au Financial Times que la possibilité sera bientôt offerte aux marques de sponsoriser l’espace virtuel de Pokémon GO. Les entreprises « paieraient pour devenir des lieux dans l’interface du jeu, car cela incite les joueurs à venir les visiter. »
Exactement comme pour Ingress. Cela veut dire que n’importe quelle institution pourra payer pour que son point de vente ou succursale devienne un PokéStop et attirer de nouveaux clients. Ainsi, ils se verraient facturer un « coût par visite » : quelques centimes à chaque fois qu’un joueur interagit avec le lieu sponsorisé, détaille Hanke, tout comme les marques paient un « coût par clic » quand un internaute clique sur une bannière publicitaire sur un site internet.
”Il y a un deuxième composant de notre modèle économique chez Niantic, qui est le concept de lieux sponsorisés. Les entreprises nous paient pour devenir des endroits clés du tableau de jeu virtuel, la promesse étant que cela leur amènera du trafic piéton”
— John Hanke
Pour le moment, cette option n’est pas encore disponible pour les entreprises. Mais pour les boutiques qui sont déjà pourvus d’un PokéStop, c’est une aubaine, que dis-je, un don du ciel et elles n’hésitent pas à en profiter.

Ben how’s business ? BOOMING
Avec plus de 75 millions de téléchargements, il était sûr que cela allait attirer les commerçants et autres marketeux qui voient dans ce jeu un potentiel énorme. En marge des partenariats avec Niantics ou The Pokémon Company, les petits commerces ont déjà compris l’importance de considérer les joueurs et d’être aussi présent dans cette réalité alternée.
De nombreux témoignages de tenanciers de boutiques que se soit à Amsterdam, Paris, Tokyo ou New York affirment avoir doublé (voire triplé) leurs revenus juste en exploitant cette technique d’interactivité entre les deux mondes.
La technique ? Elle est très simple. Il suffit d’acheter avec de l’argent réel des leurres et de les activer sur le Pokéstop dont vous êtes « l’heureux propriétaire » et attendez à ce que les clients viennent ! Pour expliquer vite fait pour ceux qui ne savent pas trop comment ça marche, un leurre permet d’attirer pendant 30 minutes les Pokémons sauvages aux alentours. L’activation d’un leurre est représentée par des pétales de roses visibles par TOUS les joueurs aux alentours. L’objet est profitable pour tous les joueurs et pas seulement pour celui qui l’a lancé. Du coup, lorsqu’on voit un leurre, il est naturel de se rendre à la position où il a été activé pour être susceptible d’attraper des Pokémons peu communs.

Pendant un moment, les particuliers pouvaient faire une requête pour avoir un PokéStop près de chez eux vu les disparités importantes dans les emplacements de celles-ci et des Pokémons mais Niantic a cesser de prendre ses requêtes et propose dorénavant un formulaire pour retirer ses points de la carte pour les personnes dérangées par les passages des chasseurs.
C’est malin, donne un joli coup de boost aux ventes et participe à la communication ainsi qu’à la notoriété de l’enseigne. Néanmoins, certaines multinationales n’attendent pas d’être fournies en Pokéstop ou en arènes pour surfer sur cette tendance Pokémon et prendre les joueurs pour des cons.
Quand le marketing s’empare du jeu
Récupérez votre kit à 14h au Monoprix St-Michel sur présentation de votre app #Pokemongo #Pokemonop ! pic.twitter.com/p8i62T0aJD
— Monoprix (@Monoprix) 22 juillet 2016
#JEU. Tweetez votre photo d’un Pokémon dans un Auchan Drive avec #pokédrive. Des Nintendo NES à gagner ! #pokemongo pic.twitter.com/Emgi3w36PS
— Auchan Drive (@AuchanDriveFr) 25 juillet 2016
Ni une, ni deux, il n’aura pas fallu longtemps pour que les agences markétings mettent en place des opérations plus ou moins bien menées pour la grande distribution. Parmi les opérations les plus remarquées, Monoprix a beaucoup fait parler avec sa distribution de « Kit du dresseur » devant son magasin du boulevard Saint Michel à Paris. Dans le tote bag édité pour l’occasion, l’enseigne proposait gratuitement de la crème solaire, des pansements pour ampoule, de l’eau, une barre de céréales et une batterie de secours pour les dresseurs de Pokémon. Après une petite annonce discrète sur les réseaux sociaux, plus de mille personnes étaient présentes devant le point de vente le vendredi 22 juillet à 14 h pour la distribution des 300 sacs édités. « Une belle opé » de l’agence de communication RosaPark.
Les magasins BUT ont aussi lancé une opération markéting du 21 au 23 juillet dernier. Dans chaque commerce de l’enseigne, les deux premiers dresseurs à trouver des Pokémons ont reçu un bon d’achat de 200 euros. L’opération mise en place avec l’agence Change a rencontré un vif succès : 2000 partages et 3000 commentaires sur Facebook (dont 90 % sont positifs), 1000 mentions sur Twitter, pour 200 captures de Pokémon en magasin.
De nombreuses enseignes surfent sur le succès de Pokémon GO en tentant de prendre leur part du gâteau. Si l’on peut admettre et cautionner le fait que l’application puisse aider un commerce de proximité à acquérir plus de clients potentiels (ça serait con de ne pas profiter des quelques 30 millions de joueurs réguliers), il est surprenant de voir que le géant du fastfood McDonald’s est le premier à avoir fait un partenariat avec Niantic pour que 400 des restaurants se changent en arènes et les 2500 autres points de vente devenir des PokéStops au pays du Soleil-Levant.


En creusant un peu, on découvre que le vice-président responsable des partenariats Mathieu De Fayet chez Niantic souhaite signer des accords avec des marques et enseignes. Il a aussi expliqué dans une conférence lors du salon VivaTech le jeudi 30 juin à Paris que « La réalité augmentée pouvait réenchanter l’expérience en magasin ».

Le lendemain, durant le même salon, le VP a animé à un atelier de discussion aux côtés d’Andrew Paradise, le fondateur de la société Skillz qui organise des tournois d’eSport avec des cash prizes bien réels sur… des jeux mobiles, et Tarquin Henderson à la tête des ventes « Gaming » sur Facebook, une table ronde sur « l’avenir des jeux mobiles et des réseaux sociaux ».
De plus, dans un article reporté par le site Gadget360, David Jones, un actionnaire de Niantic a lui affirmé s’impatienter de voir le potentiel du jeu en reprenant les propos de De Fayet :
« Je ne peux plus attendre de voir le potentiel de Pokémon GO ! Imaginez, aller dans une pharmacie pourrait soigner votre Pokémon ou entrer dans un fastfood pourrait donner des baies Framby et le nourrir » — David Jones
Contactée par nos soins, la société ne s’est pas exprimée sur les futurs partenariats et articles sponsorisés à paraitre. Toutefois, si on prend encore ce qui a déjà été fait avec Ingress, un partenariat avec une chaine de pharmacie américaine permettait en 2013 d’obtenir des armes et objets pour le jeu en scannant un code présent dans le lieu de vente.
HYPER-REALITY de Keiichi Matsuda est un court-métrage d’anticipation sur ce que nous réserve l’avenir avec la réalité augmentée.
Ça charbonne pas pour la passion, igo le but est lucratif
D’après les stratégies pour assurer la pérennité de l’app, la volonté de trouver un nouveau système de monétisation des jeux mobiles (Hanke estime que le modèle des bannières et spots publicitaires dans les jeux est désormais archaïque) et les différents partenariats on peut dire sans trop s’avancer que Pokémon GO est avant tout pensé comme une plateforme publicitaire nouvelle génération.
Se limiter à la formule freemium quand un service qui draine autant d’usagers (n’oublions pas, 75 millions de téléchargements en une semaine) qui passent un certain nombre d’heures dessus (différents profils de joueurs se distinguent, certains y consacrent plus de temps que d’autres) ça serait de l’argent perdu.
Cela nous amène à nous poser une question : est-ce que Pokémon GO tombera entre les mains des annonceurs ? Au rythme où vont les choses et au vu des éléments que j’ai exposés, on est en droit de le craindre.
En ce moment même, il doit avoir obligatoirement des hommes dans des conseils d’administration, en train de faire des brainstroming de maboule pour trouver comment tirer parti de cet immense succès via une entente plus ou moins officielle ou un parrainage. Jardiland vous pourrait offrir un Bulbizarre et un Boustiflor si vous achetez 3 sacs d’engrais. Electhor pourrait être offert pour la souscription à un contrat chez EDF. Starbucks pourrait accorder une remise de 20 % sous présentation de l’application lors de la mise en place d’un leurre virtuelle par le gérant. Il ne serait pas impossible de voir un événement spécial autour d’un Pokémon légendaire genre MEWTWO (comme dans la bande annonce initiale du projet) lors du Tokyo Game Show, Paris Game Week ou au centre de DisneyLand Paris… Niantic en organise partout dans le monde.

Les joueurs ne seront alors plus souverains de leur jeu. L’expérience ne sera plus la même s’il vous faut entrer dans un McDo pour soigner votre Pokémon, acheter un frappuccino pour avoir un œuf où que sais-je ?
C’est à nous, passionnés, de jouer un rôle de « garde-fou » contre toute opération markéting véreuse. Le fort taux d’engagement que nous représentons pour les marques ne doit pas suivre, bêtement, les tendances les plus abusives : il faut s’insurger devant de telles pratiques qui n’ont pas leur place dans un jeu vidéo !
La gamification et le « Marketing Seamless » s’emparent petit à petit du jeu vidéo pour en faire qu’une interface, un écran, où les publicitaires pourront nous inciter à consommer encore et encore…

Malheureusement, le nombre conséquent de personnes devant le Monoprix de St Michel pour un vieux tote bag tout pourri (« HEY C’EST GRATUIT MOI JE PRENDS !! ») prouvent et persuadent même aux annonceurs que les joueurs sont des consommateurs qui ne posent pas de questions et achètent tant que c’est tendance, tant que c’est hype, tant que ça joue sur leur fibre nostalgique.
Dans une conférence donnée lors de la Comic Con 2016 à San Diego, John Hanke a divulgué quelques informations concernant l’avenir de Pokémon GO. Le PDG de Niantic nous renseigne que les échanges de Pokémon entre dresseurs viendront dans peu de temps, le temps que le studio termine de peaufiner les serveurs qui prennent déjà cher. Afin de faire perdurer le jeu pendant des années, les prochaines générations arriveront au compte-goutte avec de nouvelles fonctionnalités. L’homme confirme que les Centres Pokémon feront leurs apparitions pour « aider les dresseurs dans leurs combats d’arène » et que les PokéStop distribueront de nouveaux objets, sans donner plus de détails.
Niantic doit impérativement être à l’écoute DE LA COMMUNAUTÉ (qui n’a pas forcément envie de couponnage) avant d’établir des partenariats et des contenus sponsorisés qui nuiraient à l’expérience et feront fuir des milliers de joueurs. Cette communauté qui s’investit corps et âme se sentira lésée et cessera de se connecter après avoir saisi qu’elle est dépossédée du jeu qu’elle a attendu depuis des années.
Profitons du jeu tant que les serveurs sont en ligne et allons capturer des Pokémons dans les hautes herbes, comme au temps où nous étions bambins, mais cette fois dans la vraie vie.
Y’a pas à dire, c’était le bon vieux temps.
Sources / Pour aller plus loin :
- Internetactu — Retourner au plaisir de jouer (de la gamification au cauchemar dystopique)
- Le Figaro — Le monde réel comme terrain de jeu
- gamesindustry.biz — How Google’s Niantic Labs took over the world
- France Culture — Du Grain à moudre d’été – Pokémon : ils sont arrivés près de chez vous
- The Telegraph — Pokemon Go players aren’t ignoring reality. We’re changing it