Il y a un peu plus d’une semaine maintenant, nous avons vu ensemble que les jeux vidéo, dans leur démocratisation progressive, offraient au fil du temps une expérience plus solitaire, où, chacun dans son petit coin, menait à bien de grandes aventures chronophages à sa façon. Et bien que cette façon de consommer le jeu vidéo soit encore d’une certaine façon présente aujourd’hui, un élément capital a grandement changé la donne, c’est l’objet de cette troisième partie.
La sixième génération a marqué un tournant majeur dans l’industrie du jeu vidéo console: le multijoueur en ligne. Jusqu’alors, le mode multijoueur pouvait être un atout majeur pour un jeu, Mario Kart, Bomberman ou GoldenEye 64 pour ne citer qu’eux ont par exemple marqué les soirées des joueurs des années 90, néanmoins ils amenaient avec eux deux inconvénients: A moins d’avoir un frère ou une soeur aussi fan du jeu que soi, on se retrouve plus souvent à devoir jouer seul, deuxièmement l’écran splitté mène forcément à la fameuse réplique: « ARRÊTE DE REGARDER MON ÉCRAN C’EST DE LA TRICHE PUTAIN TU SAIS OU CHUIS (sic.) ! »
A l’instar d’un jeu de société, on sort un jeu fun en multijoueur lorsque l’occasion s’y présente, mais s’il ne propose pas un minimum d’intérêt en solo, l’achat du jeu n’est alors pas suffisamment justifié. On lui préférera donc un bon jeu solo que l’on est sûr de pouvoir sortir à toutes les occasions, ou alors un jeu avec un très bon multi mais aussi un solo qui permet de passer le temps lorsque l’on a pas de compagnons de jeux sous le coude.
Mais à la fin des années 90, on sent doucement le vent tourner. Du côté des consoles, SEGA lance DreamArena sur Dreamcast, un service en ligne qui permettra à la console de se connecter sur Internet, des joueurs du monde entier de s’affrontent ou de coopèrent alord sur différents jeux. L’expérience la plus mémorable de cette ère restera Phantasy Star Online, comme ses prédecesseurs il s’agit d’un RPG, sauf que celui-ci peut se dévorer à quatre joueurs qu’importe leur emplacement sur le globe, interagissant les uns avec les autres pour venir à bout de donjons de plus en plus corsés, on est totalement dans le turfu.

Trop dans le turfu peut-être, puisque SEGA, comme à son habitude, a visé juste mais trop tôt pour les consommateurs qui ne verront pas un grand intérêt à ces batailles internationales, ces derniers préférant plutôt se caler devant un bon DVD lu par cette chère Playstation 2. Pendant ce temps sur PC, on découvre les mythiques parties OnLine de Warcraft, Quake 3 et autres Counter Strike.
Avec le Xbox Live en 2002, Microsoft a contribué à une forte démocratisation du multijoueur en ligne sur console, ici plus besoin d’inviter ses potes, on peut jouer avec eux sans bouger de chez soi et s’ils ne sont pas là, des joueurs de toute la planète sont là pour les remplacer. Plus de dix ans après, le Online est très souvent le vecteur principal de l’achat d’un jeu, il est partout. Dans le cas inverse le jeu peut même être amené à être carrément boudé, c’est ce qui est arrivé à Vanquish, le TPS de Platinum Games sorti en 2010. Le jeu n’était pas exempt de défauts que l’on pouvait légitimement pointer du doigt, mais le jeu s’est fait fusiller pour une toute autre raison: son modèle était trop proche du modèle arcade et le jeu ne possédait en plus pas de multijoueur online (rendez-vous compte, quel drame).

Aujourd’hui TOUT est prétexte au mode online, que ce soit dans un esprit coopératif ou compétitif. N’importe quel jeu est prétexte au multijoueur, prenez les jeux de Capcom par exemple: Lost Planet: Extreme Condition et Dead Rising ne proposaient pas de coop ? Les suites de ces deux titres en ont ! Resident Evil 5 et 6 ? Entièrement pensés pour la coopération ! Et c’est pareil ailleurs, un jeu comme Bayonetta avait en 2009 été critiqué par les joueurs entre autres parce qu’il ne possédait pas d’expérience en coop, qu’à cela ne tienne, le deuxième épisode propose un mode hybride entre le coopératif et le compétitif !
Le joueur a aujourd’hui BESOIN de partager son expérience d’une façon ou d’une autre. Ça peut donner de très belles choses, on pense par exemple à Journey et son aventure unique qui capitalise intelligemment sur le principe de coopération online, à Portal 2 aussi, qui propose une coopération riche et intelligente; mais aujourd’hui nous sommes face à une situation où les campagnes solo viennent tout simplement à être bâclées au profit de modes multijoueurs qui représentent dorénavant l’intérêt majeur des dits titres.

Mais avoir un mode multijoueur online n’est même pas suffisant pour stimuler le gosse de 5 ans qu’est le joueur moyen d’aujourd’hui. Tout comme sur le solo moderne qui fait ressentir une progression au joueur, à travers des niveaux, des statistiques ou de l’équipement, le multijoueur moderne possède des vecteurs de stimulations ! Ainsi des jeux qui ne possèdent pas ou très peu de rejouabilité en solo (très souvent des shooters) rattrapent le coup en proposant un multijoueur addictif en invoquant à leur tour un élément dont on a déjà parlé: l’expérience.
A travers cette expérience acquise au fil des parties, le joueur se verra attribué un niveau X qui lui permettra de débloquer diverses choses, de la nouvelle arme en passant par une nouvelle tenue ou même une nouvelle provocation pour son avatar. Cette tendance n’est que très récente, elle n’a pour ainsi dire même pas 10 ans, les premiers modes multijoueurs Online (en dehors des MMORPG) ne possédaient pas tous ces éléments, le joueur devait se stimuler lui-même en faisant état de la progression de sa dextérité ou de son intelligence de jeu. Encore une fois le joueur est donc tenu par la main, et tel un gosse mal-élevé il ne peut aujourd’hui plus s’en passer.

Un très bon exemple pour cerner cette évolution est la série Halo qui a justement vu son mode multi évoluer au fil des épisodes avec les habitudes de consommation. Dans le deuxième opus, la seule marque de progression du mode multijoueur était le fameux « TrueSkill », un système de mesure utilisé sur plusieurs jeux Microsoft qui permettait de définir le niveau d’un joueur selon ses victoires et ses défaites face des adversaires plus ou moins forts. Ce système ne se limite bien sur pas aux jeux Microsoft de l’époque et était très populaire aux balbutiements du Online console.
La victoire contre des adversaires au niveau plus élevé sera fortement récompensée, à l’inverse une défaite contre des adversaires au niveau plus faible pourra être sanctionnée d’une chute de niveau; l’issue du match est donc foutrement déterminante pour le joueur qui s’intéresse un tant soi peu au système. Ce dernier cherche donc à devenir le meilleur, à repousser ses limites pour surpasser les autres, enchainant des parties identiques pour progresser encore et encore. Vous remarquerez ici que nous sommes dans un schéma extrêmement proche du modèle arcade évoqué auparavant. Des héritiers de l’Arcade comme Street Fighter IV utilisent d’ailleurs encore ce système aujourd’hui (même si un autre système de points moins punitif a été mis en place ensuite pour justement limiter la frustration, encore une fois)

Dans le troisième épisode d’Halo, la formule a évolué: en plus du TrueSkill, le joueur possède des points d’expérience distribués à chaque victoire et permettant eux aussi de faire progresser leur « grade« . Ainsi le joueur qui n’a pas envie ou n’arrive juste pas à devenir meilleur peut lui aussi ressentir une progression à travers un système plus « absolu », où la victoire est forcément synonyme de récompense et la défaite non punitive. Le modèle multijoueur d’Halo 3 est en terme de progression le plus abouti de la série puisque tout le monde y trouve son compte.
Pour donner un exemple personnel, je jouais à l’époque à Halo 3 avec mon père qui fort de ses 35 ans n’avait plus la fougue de sa jeunesse et cherchait uniquement à jouer sans se prendre la tête; il se concentrait donc sur son grade « absolu », celui alimenté par les points d’expérience. Du haut de mes 15 ans j’étais à l’inverse dans ma période où je pouvais jouer 10h par jour pour améliorer mon jeu, j’étais concentré sur mon grade « relatif », le TrueSkill. Je lançais le jeu le matin en me disant « Aujourd’hui je suis niveau 44, je passe niveau 45 », je finissais très souvent la journée complètement dégouté et vidé par la rage, car descendu au niveau 42 à force d’enchainer les défaites dans des matchs où je jouais ma vie; nous étions deux types de joueurs radicalement différents mais trouvions notre compte sur le même jeu. (Voici un organigramme résument le système de rangs de Halo 3 -> ICI <- On peut voir que certains grades se débloquaient en fonction du TrueSkill (colonne de droite) )
Quelques années plus tard vint Halo: Reach qui dans la même logique que ses deux prédecesseurs a continué à répondre à la demande de l’époque. De ce fait dans cet opus, le rang TrueSkill n’a plus aucune importance, la seule chose qui compte sont les « Crédits », points d’expériences distribués en fin de match et ce même en cas de défaite, avec un bonus pour les victorieux quand même. Ces Crédits ont de plus pour but d’acheter des pièces cosmétiques pour son personnage, permettant ainsi de faire le beau devant les autres joueurs (on parle d’un FPS je le rappelle, donc les pièces cosmétiques de son armure on ne les voit quasiment JAMAIS).

Les Crédits peuvent de plus être obtenus grâce à des « Commendations » (j’ai oublié le nom français) qui correspondent à plusieurs centaines de défis à réaliser en solo ou en multijoueur. Avec Reach, on constate plusieurs choses: tout d’abord le multi et le solo ont totalement « fusionné », ensuite le multijoueur punitif engendré par le TrueSkill et ses dérivés n’existe plus. Les joueurs sont classés uniquement selon leur temps de jeu, tout le monde est gagnant.
Enfin on constate que le « paraitre » occupe une place importante chez les joueurs modernes; cette affirmation est encore plus notable quand on observe le système de « Prestige » de Call Of Duty, plus grosse carotte imaginable. Un joueur obtient un rang « Prestige » en repartant du niveau 1 après avoir atteint le niveau maximal, il sacrifie ainsi tout l’équipement qu’il a gagné en échange d’un insigne spécifique qui se décline plus d’une dizaine de fois. Ainsi les joueurs « recommencent » encore et encore à tout débloquer juste pour obtenir l’insigne maximum à côté de leur pseudo, visible aux yeux de tous et représentant ces dizaines voir centaines d’heures d’acharnement (dans le vide, voilà, c’est dit, le pavé est jeté). On est très loin des années Counter Strike 1.6 où les joueurs enquillaient des centaines d’heures de jeu sans gagner la moindre récompense in-game et continuaient pourtant à jouer inlassablement au jeu. Imaginez aujourd’hui un Call Of Duty où tout est débloqué d’office et où le joueur n’a aucun outil pour montrer qu’il est « plus fort » ? On ferait face à une levée de boucliers massive, ce serait une hérésie, un scandale.
Le joueur joue pour se montrer, exposer son gros phallus virtuel, et ça les développeurs l’ont bien compris. Ce sera d’ailleurs le sujet de notre dernière partie de cet épisode de Sur Le Grill.
A la semaine prochaine