La semaine dernière, nous avons vu ensemble comment le joueur était amené à repousser ses limites à travers le modèle arcade, modèle qui régnait en maître jusqu’au milieu des années 90. « Régnait », car la sédentarisation du joueur grâce aux consoles de salon a donné naissance à de nouvelles habitudes et donc à une évolution du Game Design. Comment cette évolution a permis de démocratiser davantage le jeu vidéo au point de devenir l’imposant medium que l’on connait aujourd’hui ? C’est l’objet de la deuxième partie de cet épisode de « Sur le Grill »
Les racines de cette sédentarisation se trouvent dans deux genres qui s’entremêlent parfois et qui se sont démocratisés dès les années 80: Le RPG et le Metroïdvania. On ne présente plus le premier; derrière le nom barbare du second se cache deux jeux aux mécanismes similaires: Metroïd et Castlevania. Ces jeux offrent une aire de jeu non linéaire, entendons par là qu’il ne suffit plus d’aller vers la droite pour arriver au bout du niveau, d’ailleurs des niveaux, il n’y en a justement pas.
En haut, en bas, à gauche, le joueur doit aiguiser son sens de l’exploration pour progresser dans l’aventure. Mais alors, quelle est la différence avec un jeu comme The Legend of Zelda qui proposait déjà ce principe d’aire de jeu « ouverte » me direz-vous ? Eh bien cette différence se trouve dans l’évolution du personnage, ou plutôt des clés que le jeu lui délivre tout au long du périple. C’est ce facteur qui rapproche le Metroïdvania du RPG, ce facteur c’est l’expérience.
Au fur et à mesure de ses affrontements, l’avatar du joueur deviendra de plus en plus fort, habile, rapide. De ce fait, en plus de se familiariser avec les mécanismes du jeu, le joueur aura davantage d’outils pour venir à bout de l’aventure et accéder à des zones qui lui paraissaient autrefois infranchissables ou trop difficiles. Ainsi, même le joueur « mauvais » pourra, à force d’enchaîner les combats et/ou les quêtes annêxes à l’aventure principale, palier cette lacune en rendant son avatar plus fort, rendant ainsi le jeu plus facile.

Devant un obstacle coriace, on ne se dira donc plus « Je suis une merde » mais « T’inquiète mon gars, je reviendrai plus tard avec une meilleure arme pour te niquer ». Là où les Metroïdvania diffèrent du RPG, c’est que la courbe de progression de l’avatar a des limites. Samus Aran n’a par exemple pas de « niveaux », sa progression s’évalue grâce aux nouvelles capacités de son armure qui s’obtiennent très souvent après des affrontement corsés. La dextérité reste donc ici primordiale pour continuer l’aventure, les nouvelles armes apparaissant alors aux yeux du joueur comme une récompense bien méritée.
THANK YOU FOR PLAYING
Cette récompense, qu’importe sa forme, est une des raisons majeures pour laquelle on joue. Elle peut se présenter comme un apport au gameplay, comme on vient de le voir; mais celle à laquelle on pense en premier c’est la fin du jeu, le dénouement de l’histoire, séquence autrefois ingrate qui durait quelques secondes, parfois même pas animée. On pense par exemple à la fin misérablement pourrie de Kid Chameleon, qui après des heures et des heures de lutte labyrinthico-cauchemardesque SANS SAUVEGARDE nous offre une fin MERDIQUE AU POSSIBLE.
Avec le CD-Rom qui a apporté les cinématiques et les doublages, le scénario s’est mis à occuper une place majeure dans le jeu vidéo; offrant ainsi aux joueurs des dénouement dignes de ce nom, mais aussi des interludes pour les garder en haleine, le « background » est devenu une raison de jouer à un jeu.
Sonic par exemple, ne possédait durant sa grande époque 16-Bit qu’un « petit » scénario. Le troisième épisode propose une très courte intro et quelques petits interludes, mais sans une lecture du mode d’emploi, difficile de comprendre avec exactitude tout ce qu’il se trame à l’écran. En 1998, lorsque Sonic revient de sa traversée du désert avec Sonic Adventure, tout est différent: des cinématiques, des personnages qui parlent, différentes trames scénaristiques qui s’entrecoupent, tout est contextualisé.

A ce niveau, Sonic Adventure 1&2 sont d’excellents élèves au point que l’on ne s’imagine aujourd’hui plus un Sonic sans un minimum de scénario, dommage que le niveau a drastiquement chuté au fil des épisodes. On retrouve ce phénomène de contextualisation dans une très moindre mesure dans les jeux full 3D de son rival Mario (Super Mario Sunshine, Galaxy 1&2).
TU VEUX QU’ON S’TIRE L’OREILLE ?
Mais l’exemple le plus probant pour démontrer cette montée de l’engouement pour le background, c’est la série Metal Gear. Le premier épisode est sorti en 1987 et proposait déjà un background riche, surtout pour un jeu qui n’était pas un RPG. Malgré celà, et c’est sûrement dû à l’époque, le jeu n’a pas marqué outre-mesure, pire encore, en sortant la version MSX européenne du jeu, les traducteurs ont zappé plus de 50% des dialogues et ont traduit le reste à l’arrache, comme si ce n’était pas important.
C’est seulement à la sortie de Metal Gear Solid, dix ans, après que le jeu va rencontrer un énorme succès d’estime et commercial. Les deux jeux ont quasiment les mêmes mécanismes de Gameplay, il s’agit d’infiltration sur une zone « ouverte » où le héros doit récupérer armes et objets pour accéder à de nouveaux lieux (qui a dit Metroïdvania ?). Là où Metal Gear Solid se démarque, c’est dans sa narration. En effet; en plus des phases de CODEC qui étaient déjà présentes dans l’opus original, MGS offre une expérience cinématographique très léchée qui a tout de suite séduit.

Le jeu est d’ailleurs reconnu pour avoir un nombre hallucinants de cinématiques, on peut littéralement être amenés à passer une heure sans jouer dans certains épisodes de la saga. Ironiquement d’ailleurs, Metal Gear Solid V se fait aujourd’hui démonter par beaucoup car il ne propose plus une expérience aussi scriptée et théâtralisée que ses prédécesseurs. Beaucoup de joueurs jouent exclusivement pour connaître la suite de l’histoire, d’autant que la série est réputée pour ses twists incroyables. Metal Gear est aujourd’hui la seule série qui possède une histoire s’étendant sur presque 30 ans de jeux vidéo, Victor Newman des Feux de l’Amour c’est que dalle à côté de Big Boss.
De la même façon, Shenmue, que l’on a justement évoqué tout récemment à propos de son troisième opus, cultive son mythe par le fait que l’on n’a à ce jour jamais connu le fin mot de l’histoire, tout le monde veut savoir si oui ou non Ryo va parvenir à venger la mort de son père en bottant le cul de ce prétentieux de Lan Di ! D’autant que le deuxième opus se termine d’une façon totalement impromptue, au moment où les réponses aux questions que l’on se pose depuis des dizaines d’heures commencent à peine à se dévoiler.

On cherche ici à tenir le joueur en haleine, à lui distiller quelques révélations pour le pousser à continuer son aventure, un peu comme dans une série où de nombreux épisodes se finissent par un cliffhanger. Alors certes, des séries comme MGS ou Shenmue ne se démarquent pas uniquement par leur scénario, mais c’est sur ce point qu’ils sont/ont été attendus par les joueurs.
On peut du coup mettre en exergue cette culture de l’attente avec LE nouveau facteur déterminant de l’époque: la sacro-sainte durée de vie, mesure définissant le temps nécessaire pour arriver au générique de fin, fameuse récompense tant chérie par les joueurs. Il est ici toujours question de « rentabiliser » son achat; en effet on aura tendance à se sentir arnaqué face à une histoire qui se dévoile et s’achève en trois coups de cuillère à pot. D’ailleurs, même si certaines récompenses poussent le joueur à recommencer le jeu, l’intérêt ici réside dans la première partie (qui sera pour beaucoup de joueurs la seule).
Dans Resident Evil, reconnu lui aussi pour son approche cinématographique, le plus gros de l’émotion se transmet par la surprise (les twists, les monstres qui surgissent pas surprise, les énigmes, etc.). En recommençant le jeu on se surprend à le terminer en moins de 5h, soit quasiment deux fois plus vite. Alors certes le joueur acharné pourra comme à la grande époque essayer de finir le jeu de plus en plus vite ou se fixer des objectifs comme « utiliser le moins d’herbe possible » mais ce n’est pas vraiment le but du modèle, qui ne propose d’ailleurs pas d’outils comme le score.
En plus de cette contextualisation du jeu vidéo, on voit apparaitre à cette époque des titres comme Crash Bandicoot 2&3 ou Donkey Kong 64, qui cultivent un nouvel idéal aux yeux du joueur: le 100%. Ici la satisfaction se trouve dans le fait de vouloir TOUT finir: objets à collectionner, quêtes annexes, défis… tout est prétexte à rallonger l’expérience. Ce système s’est largement démocratisé aujourd’hui, entre autres à travers les jeux dits « Open World » qui confrontent le joueur à un vaste univers où il y a beaucoup de choses à faire en plus de l’aventure principale. Si on prend la série Yakuza par exemple, la durée de vie du premier épisode pour tout faire ne dépasse pas les 30h. Le quatrième épisode à son inverse nécessite une centaine d’heures pour arriver jusqu’au fameux 100%.

Dans un autre genre, les simulations automobiles telles que Gran Turismo, qui proposent une expérience extrêmement redondante, capitalisent aussi sur cette sacralisation de la progression, en invitant même les joueurs à réaliser des courses d’endurance de plusieurs heures pour pouvoir finir le jeu à fond. Bien qu’apparaissant comme une carotte bien trop grosse pour que l’on tombe dans le panneau, ce système est diaboliquement efficace; nous sommes totalement dans une logique de rentabilité.
Ce système à certes des limites, arrivé au but il n’y aura vraiment plus rien à faire, là où le système de surpassement de soi du modèle Arcade offrait une rejouabilité quasi-infinie, mais avec ce système de pourcentage, le joueur paresseux est pris par la main. Il passe ainsi des dizaines d’heures à fouiller, capturer, explorer pour trouver tous les trésors enfouies dans son jeu et y prend, pour sûr, du plaisir, mais nous verrons très bientôt que celà peut devenir parfois malsain et qu’on peut pousser un joueur à faire à peu près n’importe quoi…
A la semaine prochaine pour la suite
Un commentaire sur « SUR LE GRILL | DU HI-SCORE AU G SCORE (PART. 2) »