Avec sa sortie imminente prévu pour le 1er septembre 2015 sur consoles (deux semaines plus tard sur PC), Metal Gear Solid V : The Phantom Pain s’annonce juste énorme. Pourtant, de nombreuses personnes semblent minimiser sa sortie qui marquera l’histoire du jeu vidéo en étant le dernier projet consoles de Konami et le dernier jeu Metal Gear d’Hideo Kojima, son créateur.
Un trailer monumental sorti dans l’indifférence quasi générale lors d’un E3 qui s’est annoncé beaucoup plus mouvementé que prévu. Montée par le créateur du jeu lui même, on peut y entendre Elegia de New Order ainsi que les discours de différents personnages à propos de leurs buts et ceux à quoi ils aspirent, le tout accompagné d’images particulièrement sanglantes. Après une citation du philosophe et écrivain roumain Emil Cioran, le ton, et un des thèmes de l’épisode, est donné par la même occasion. L’ultime épisode de l’homme derrière Policenauts et Boktai poursuivra le thème du langage.
« On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre. »
Emil Cioran (1911-1995), Aveux et anathèmes, éd. Gallimard, 1987, p. 21
ATTENTION, l’article révèle partiellement les intrigues des épisodes précédents. Vous êtes prévenus !
Il est important de situer le contexte de The Phantom Pain. Vic Boss aka Big Boss poursuit la volonté de son mentor The Boss de créer un monde unifié où chacun serait libre et où des personnes comme lui, c’est-à-dire des soldats, pourraient vivre sans être utilisés comme des pions par leurs nations d’origine et vivre librement. Major Zero aka Cipher souhaite aussi poursuivre la volonté de The Boss mais il a une autre vision : Créer un monde totalitaire où, dans le but de protéger les populations, tout serait contrôlé, les informations et renseignements filtrés par un « organisme suprême » afin que la masse puisse vivre en toute quiétude mais privée de libertés individuelles. Les deux hommes, autrefois amis et fondateurs des Patriots, se séparent alors.
En 1972 le projet « Les Enfants Terribles », qui vise à cloner Big Boss et créer des soldats parfaits donne naissance à trois bébés : Solid, Solidus et Liquid. Big Boss condamne le projet et se sépare définitivement de Zéro. À partir de cet instant les relations entre Zéro et Big Boss se dégraderont au point de devenir de véritables ennemis.
Après les événements de l’incident Peacewalker en 1975, Cipher retrouve finalement Big Boss qui avait réussi a créer un « État » et fondé une armée de mercenaires (Les « Militaires Sans Frontières » et la Mother Base). Une fausse inspection de l’ONU dans la Mother Base orchestré par celui-ci lui permet de lancer un assaut meurtrier contre B.B et son armée.
Après cette attaque Big Boss tombe dans un coma dont il se réveillera 9 ans plus tard.

Ainsi commence The Phantom Pain. Big Boss complètement déboussolé et totalement perdu doit recommencer à zéro ce qu’il avait bâti avec son shrab de toujours Kaz Miller, qui a l’air d’être lui aussi très amoché par l’attaque de la Mother Base. Créer une patrie sans frontières où l’Homme pourra choisir librement son destin c’est chaud à faire quand même, surtout quand on ne parle pas la même langue !
En effet, les soldats récupérés sur le front ou volontaires pour rejoindre l’armée de Big Boss sont de diverses nationalités et ont tout comme leur leader tourné le dos à leurs nations respectives. On connaît tous l’histoire biblique de la tour de Babel où, peu après le Déluge, alors qu’ils parlent tous la même langue, les hommes atteignent une plaine dans le pays de Shinéar et s’y installent tous. Là, ils entreprennent par eux-mêmes de bâtir une ville et une tour dont le sommet touche le ciel, pour se faire un nom. Dieu brouille alors leur langue afin qu’ils ne se comprennent plus, et les disperse sur toute la surface de la Terre. La construction cesse.
Diviser pour mieux régner
Ainsi ce qui caractériserait le régime Babylonien serait la découverte des langages secrets, de l’Hermétisme (ce qui est caché), et ceci dans un but de Pouvoir. Pouvoir fondé sur la confusion des esprits et l’apparition de jargons, c’est-à-dire de langages à double sens compris seulement par les initiés, auquel la masse des humains n’aurait pas accès. Apparaissent alors les classes supérieures qui connaissent les langages secrets (prêtres et nobles guerriers). Babylone est la première des sociétés hiérarchiques et spécialisées, préfigurant toutes les civilisations suivantes avec leurs classes sociales, elle est fondée sur la rétention d’information et donc de la valeur. L’information et la valeur sont capitalisées par les classes nobles et sacerdotales. Le gros de la population reçoit une information simplifiée, dénuée d’intérêt, destinée à produire une image insensée du monde.
C’est dans cette volonté de promouvoir des langages secrets que réside le pouvoir des classes supérieures, et aussi la cause de la confusion des langages et leur multiplication parmi les peuples. Les humains de Babel trouvent ainsi leur punition dans le système de pouvoir qu’ils ont eux-mêmes inventé.
Les deux antagonistes ont la même finalité : unifier le monde. Nous entendons dans ce dernier trailer ce qui semble être Zero (accent british) ainsi qu’un autre personnage non identifié dire qu’il souhaite réunir les hommes sous un même drapeau en créant un nouvel ordre mondial où une langue unique serait parlée de tous. Pour lui, le plus gros parasite symbiotique n’est pas microbien mais linguistique. Les mots maintiennent en vie notre civilisation, notre monde. Il ne suffirait alors de ne pas seulement tuer ses détracteurs pour libérer le monde mais de prendre leurs langues, de les couper pour qu’ils ne puissent plus parler que la langue commune ou s’exprimer autrement. Plus de lingua franca, mais une langue unique pour une pensée unique.

Une langue de vipère
Aristote définissait l’homme comme « le vivant possédant le langage » : la capacité linguistique semble n’appartenir en propre qu’à l’homme, et le distinguer de tous les autres vivants. Le langage permet à l’homme de penser et de communiquer ses idées : il fonde donc la vie en communauté.
Mais j’arrête de sortir mes cours de Terminale, ici il est question des sciences du langage et plus précisément de linguistique pragmatique : l’étude du sens des énoncés en contexte.
Une lingua franca est ce qu’on peut appeler en français une langue véhiculaire, utilisée comme moyen de communication entre populations ne parlant pas la même langue par exemple l’anglais ou l’espagnol langue commune en Amérique latine et au sud des États-Unis. Elle s’oppose aux langues dites vernaculaires c’est-à-dire parlées localement au sein d’une communauté.
Cipher (« cryptage » en anglais) veut donc contrôler, filtrer les informations et renseignements pour que les hommes puissent vivre librement en toute quiétude sans qu’ils aient conscience en censurant certains mots qui dérangent.
Après avoir vu tout ça dans le trailer, on pense au personnage de Quiet, incarnée par la magnifique Stefanie Joosten, qui comme semble indiquer son nom et ses apparitions dans les trailers de gameplay n’est pas très bavarde. Les journalistes ayant pu jouer au jeu en avant-première une quinzaine d’heures n’ont pas vu la belle mais il est fort à parier qu’elle est une victime de cette guerre entre Big Boss et Zero. Privée de la parole, elle ne peut s’exprimer oralement, ce qui la rend d’autant plus mystérieuse et intéressante.
C’est un des thèmes abordé par Hideo Kojima et son équipe, composée à l’écriture par le controversé Shuyo Murata (Zone of the Enders: The 2nd Runner) et Hidenari Inamura, un programmeur qui a bossé sur l’anecdotique Castlevania : The New Generation (Bloodlines) sur MegaDrive avant de s’essayer à l’écriture 20 ans plus tard (!) sur Ground Zeroes. On sait déjà que le virage pris par la série à partir de MGS3 avec le départ de l’illustre Tomokazu Fukushima ne va pas redorer l’image de la série qui a perdu sa dimension complètement barrée et méta prêtant à l’introspection. Je dois dire que je suis plutôt agréablement surpris par ce trailer qui annonce un jeu plutôt bien travaillé au niveau de l’écriture et soumis à des contraintes chronologiques.
Hideo Kojima a présenté le thème de la série comme étant « GENE » ⇒ « MEME » ⇒ « SCENE » ⇒ « SENSE » ⇒ « PAIX » ⇒ « RACE / REVENGE », avec l’histoire portée sur l’incompréhension, la douleur, les préjugés, la haine et les conflits provoquées par la différence de langue, de race, coutume, culture, et de préférence.
I’m nuclear, I’m wild, I’m breaking up inside
C’est plutôt pas mal vous ne trouvez pas ? J’veux dire, on parle d’un jeu qui va sortir dans pas longtemps et c’est du concret, pas comme les arlésiennes Shenmue 3 ou The Last Guardian, qui bien qu’elles se concrétisent, ne verront pas le jour avant longtemps, La réflexion autour du trailer final avant la sortie du jeu est plutôt intéressante, quel jeu aujourd’hui amène un propos comme tel ? Quel jeu AAA, quelle grosse production atteint un niveau de réflexion aussi élevé de nos jours ? Qui peut se permettre de faire du marketing viral aussi efficace ? Perso j’en vois pas. Je dirais même plus, quand je vois un trailer d’un jeu qui s’annonce comme être une bombe de malade mental je pense qu’il est tout à fait normal d’en parler et d’en faire la promotion sur les sites spécialisés et leurs forums ! La réalité est tout autre.
The Phantom Pain malgré ses qualités intrinsèques et sa sortie toute proche est un jeu boudé. On en parle pas ! Certains vont même jusqu’à appeler au boycott du jeu ! Une sorte de censure en quelque sorte dans une ère où les jeux « parlent tous une même langue » et n’offrent que des expériences similaires entre elles.

Le boycott est lancé par plusieurs fans qui protestent contre la décision de Konami de se retirer du monde du jeu vidéo pour se concentrer sur leurs activités annexes qui génèrent beaucoup plus de profit au Japon (bails de salle de muscu tout ça). Konami souhaite développer des jeux mobiles qui ont un succès monstre au pays du soleil levant (Puzzle & Dragons pour ne citer que lui) mais aussi dans le monde avec l’avènement des match-three (Candy Crush Saga). Des jeux qui coutent largement moins à produire et qui, en cas de succès, assurent un profit de ouf malade.
Du coup, Konami a évincé grand nombre de son personnel, dont Hideo Kojima. Seulement voilà, Konami compte faire table rase du passé. Alors qu’il était utilisé comme « nom vendeur » et largement mis en avant, le nom d’Hideo Kojima est gommé peu à peu des bases de données et des artworks de Konami, qui a même annoncé développer un futur jeu de la série sans son créateur.
Beaucoup de personnes impliqués dans le développement du jeu, dont Akio Otsuka, la voix officiel de Snake au Japon, ont dit que ce drama entre Kojima et Konami n’influe pas le développement du jeu et que l’équipe est toujours la même malgré la dissolution de Kojima Productions et la récente annonce des micro-transactions.
Boycotter MGS TPP c’est se tromper d’ennemi. Ne pas acheter TPP c’est donner raison à Konami de cesser toute activité vidéoludique et de virer ses créateurs comme des malpropres. Le fait que quasiment aucun site ne parle de ce jeu alors qu’il sort, lui, dans pas longtemps renforce ce boycott d’un jeu qui s’annonce exceptionnel. Je suis moi même un grand fanatique de la série Metal Gear Solid mais je suis capable de prendre du recul et de ne pas appeler au boycott, AU CONTRAIRE je lance un appel à tous les fans et aux curieux qui ont apprécier Ground Zeroes d’acheter le jeu pour soutenir Kojima et soutenir les jeux vidéo de cette envergure !
On retombe sur le cas de « l’achat-vote » que j’ai brièvement énoncé dans une chronique précédente, acheter TPP permettra de lancer un message plus ou moins fort en proportion du nombre de ventes du jeu à Konami qu’il a toujours un public pour ce genre de jeux ! Et au pire si vous n’accrochez pas revendez-le ou donnez-le à votre voisin, j’pense qu’il kiffera vu que la série s’est pas mal casualisée au niveau du gameplay d’après ce que j’ai vu sur Ground Zeroes… ce qui n’est pas plus mal.
Espérons que le jeu final soit aussi bon que ce qu’il laisse présager. J’espère que Kojima laissera enfin sa série sur un « Masterpiece » et, soyons optimistes, qu’il pourra enfin bosser sur autre chose que Metal Gear; une série qui a 28 ans.

Metal Gear Solid V : The Phantom Pain sortira sur PS4, PS3, Xbox One, Xbox 360 le 1er septembre et sur PC (Steam) le 15 septembre 2015.
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