Le problème avec Internet, c’est qu’il est possible de lire des avis sur tout et n’importe quoi, tout le monde a son mot à dire. Que ce soit sur la dernière super-production Marvel, le dernier album de JUL ou, et c’est là que ça nous intéresse, sur le dernier jeu vidéo en vogue. Ce n’est pas un problème pour nous, consommateurs, mais c’en est un en revanche pour les sociétés derrière ces contenus, ces avis pouvant générer d’énormes « bad buzz ». Nous avons pris pour habitude de faire confiance à ces commentaires pour se forger le notre, parfois même sans avoir touché au jeu. Les éditeurs ont donc depuis quelques années tout mis en place pour que l’achat compulsif au fameux « Day One » prenne le dessus sur la raison, c’est notre sujet du jour.

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Ce que j’aime dans notre communauté, c’est que bien que composée d’énormément d’abrutis proliférant des menaces de mort à la moindre contrariété, c’est la communauté culturelle qui a la plus grande gueule. Les joueurs sont des consommateurs intransigeants et ne laissent rien passer, alors comment diantre en sommes-nous arrivés là ? Comment les éditeurs sont-ils parvenus à créer de véritables presses à billets numériques se vendant à plusieurs millions d’exemplaires, DLC non compris ? Il faut, je pense, remonter à l’avènement de la Wii et de la DS pour comprendre ce phénomène. La sortie de ces deux consoles a boosté la démocratisation du jeu vidéo, de nombreuses personnes n’ayant jamais mis la main sur une manette s’y sont alors mises. Malheureusement, c’est pas de leur faute les pauvres, ces nouveaux consommateurs se sont mis à acheter tout et n’importe quoi faisant écho à des licences qui ne leur en sont pas étrangères sans vraiment prendre en compte la qualité du produit. La fameuse « Léa » s’est découvert 45 vocations différentes (maitresse d’école le jour, star de la mode la nuit) quand Denis Brogniart a animé malgré lui des minis-jeux injouables dans un Koh Lanta fini à la pisse.

koh lanta wii
YEH YEH YEH YAH YEH YEH YAH

Quelque chose a du, à ce moment précis, faire dérailler les éditeurs, un pétage de cable façon Loup de Wall Street. Les joueurs « historiques » sont un peu à l’industrie du jeu vidéo ce que les syndicalistes sont au monde du travail, des gueulards qui aiment boycotter. C’est donc tout naturellement qu’ils ont été mis sur la touche au profit d’une population plus malléable, moins exigeante, et plus fortunée [insérez un cliché sur les joueurs au RSA ici]. Aujourd’hui, ces nouveaux joueurs ont mûri, mais ont continué d’évoluer dans cette nouvelle logique de l’industrie. Ils ne jouent plus à des party games pourris mais à des jeux avec beaucoup de budgets et peu de neurones. J’apporte une précision importante à ce stade : je ne vois pas les « casual gamers » comme un cancer pour notre milieu culturel, c’est tout à leur honneur de vouloir découvrir notre monde et ils sont au final moins toxiques que certains joueurs se revendiquant « hardcore ». Ceci étant dit, continuons.

Bienvenue dans le Hype Train n°5786 en direction de Culmont-Chalindrey

Le meilleur moyen de ne pas attirer les quolibets d’une communauté casse-couille, c’est d’en dévoiler le moins possible, juste ce qu’il faut pour maintenir la fameuse « Hype ». La hype se mesure à travers les réactions des joueurs sur des trailers millimétrés ne dévoilant très souvent que le meilleur, elle se mesure dans un second temps avec les pré-commandes. Dans une époque lointaine, nous réservions nos jeux chez notre petit revendeur pour être sûrs d’avoir une pièce à la sortie, ce dernier pouvait quant à lui évaluer le potentiel d’un titre pour effectuer ses commandes, je revois encore l’oeil brillant du mien quand mon père était venu lui réserver Dead Or Alive Xtreme Beach Volleyball, « beaucoup de gens me demandent de leur mettre de côté, je pensais en commander que trois ou quatre !! », bah ouais morray. Aujourd’hui la précommande sert à évaluer la hype, on pousse le consommateur à pré-commander des éditions toujours plus chères, avec des bonus exclusifs selon les enseignes dans une quantité limitée. Premier arrivé, premier servi, il faudra venir au Day One.

Bon là, ça a pas marché
Bon là, ça a pas marché.

Le Day One, on y vient ! L’achat compulsif ! Animé par un élan communautaire, le joueur qui a depuis sa préco rejoint un forum dédié à son futur achat, n’en peut plus. Il a analysé tous les trailers avec ses nouveaux camarades et rêve la nuit de l’odeur de plastique neuf que va dégager sa boite. D’autres personnes montent dans le wagon du hypetrain avec le bouche à oreille, ajoutez-y ce qu’il faut de publicité et c’est comme ça qu’au Jour J, les ventes explosent. Cette situation, on l’a tous connu; il y a un peu plus d’un an j’étais le premier à compter les jours avant de mettre la main sur The Phantom Pain, qui n’avait montré que ses bons côtés à travers ses trailers.

Je suis là à chier sur le Day One alors qu'il y a un an je postais ça, oui je n'ai aucune race.
Je suis là à chier sur le Day One alors qu’il y a un an je postais ça, oui je n’ai aucune race.

Le Day One devient un évènement difficile à gérer, la hype générée depuis des mois se retourne contre l’éditeur quand le Graal se retrouve à la vente plusieurs jours avant la sortie. Les quelques informés par une sortie prématurée deviennent alors des porte-paroles, quand les journalistes sont eux bloqués par la fameuse NDA (= Non-Disclosure Agreement ou Accord de non-divulgation en bon françois) qui leur interdit de parler du jeu avant une date pré-définie par l’éditeur. Les joueurs lambda n’ont eux pas cette contrainte, et très souvent, le masque tombe à ce moment-là.

Certains éditeurs ont renforcé leur contrôle sur leurs sorties à coups d’amendes et de punitions à l’égard des distributeurs, c’est pourquoi très souvent des revendeurs peuvent vous dire « On a le jeu, mais on peut pas le vendre ». Il était par exemple quasi-impossible de trouver Gears of War 4 et Forza Horizon 3 avant leur sortie. MAIS Microsoft avait proposé une version ULTIMATE, comprenant un accès anticipé au jeu accompagné de son Season Pass pour une centaine d’euros. 100€ pour du contenu dont on ne connait pas la nature et pour jouer à un jeu trois jours plus tôt, on croit rêver. D’ailleurs, EA propose aussi avec son service EA Access de profiter, moyennant  un abonnement mensuel, de quelques jeux de son catalogue en téléchargement et ce quelques jours avant leurs sorties officielle en magasin. Une technique de plus pour maitriser le lancement de leurs jeux.

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100 balles pour découvrir avant tout le monde que la campagne était pourrie. Ca valait le coup !

Pour pimenter un peu plus le Day One, et du fait du statut de plus en plus délicat des journalistes qui doivent en permanence montrer patte blanche, les éditeurs n’hésitent pas à passer par des « influenceurs », j’ai nommé les YouTubers, qui en échange d’un jeu gratos et d’un voyage aux Bahamas n’hésiteront pas à donner leur avis on ne peut plus objectif sur le titre avec beaucoup moins de transpiration qu’un journaliste qui devra justifier les trois sushis qu’il a bouffé gratos pendant le Tokyo Game Show.

Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise

Si l’honnêteté et le travail consciencieux étaient les maitre-mots du jeu vidéo moderne, il n’y aurait pas de problème avec ce fameux Day One, sauf que si les éditeurs cherchent à « cacher » leurs jeux, c’est qu’ils ont quelque chose à se reprocher. Pour parler d’un jeu qui sort aujourd’hui officiellement, Final Fantasy XV dit « le maudit », on ne compte plus les GIFs et vidéos qui tournent sur le jeu, dévoilant d’horribles bugs aberrants, et d’une deuxième partie de jeu qui pue du cul et qui sent le rafistolage à la va-vite, mauvaise pub pour un titre qui est officiellement disponible depuis même pas 24h. D’ailleurs en guise de damage control, Square Enix aurait fait bannir les comptes Twitch des joueurs qui diffusaient le jeu ce week-end, « pour pas spoiler ». Cerise sur le gateau, le jeu se tape des « patchs Day One » de plusieurs Go alors que le jeu avait à la base été repoussé pour éviter ce genre de désagrément, succulent.

Square Enix avait pourtant brisé un code instauré depuis quelques années maintenant : La fameuse démo jouable. FFXV en a même eu trois, la démo DUSCAE (fournie avec Final Fantasy Type-0 HD sur PS4 et Xbox One), la PLATINUM DEMO et la JUDGMENT DISC. Pour un AAA, c’est énorme, car aujourd’hui, dans cette logique de dissimulation du produit, on n’a quasiment plus le droit à ce genre de luxe, pourtant encore assez populaire au début de la génération derrière. Ne plus avoir à acheter de magazines pour essayer des jeux en les téléchargeant sur sa console, c’était une avancée remarquable pour le commun des mortels ! La quasi absence de démo est aujourd’hui une catastrophe, tant pour les joueurs que pour les petits studios indépendants qui possèdent une marge marketing proche du néant. Sur le Xbox Live Arcade, pour ne citer que lui, les démos étaient obligatoires, sans elles je serais passé à côté de nombreux jeux, comme l’excellent Omega Five ou Castle Crashers. Aujourd’hui les jeux indés continuent de fleurir, mais impossible de les essayer, alors on passe à côté…

Toy Commander sur Dreamcast, Kula World sur Playstation, la fameuse démo de MGS2 sur Playstation 2. La démo faisait partie intégrante de notre paysage culturel.
Toy Commander sur Dreamcast, Kula World sur PS1, des jeux que l’on aurait ratés s’ils n’avaient pas été jouables dans des démos.

Mais Final Fantasy XV est loin d’être un cas unique dans l’art du « raté » au Day One, cette année par exemple on a eu deux cas plus violents : Street Fighter V et No Man’s Sky. Les deux titres se sont avérés être des early access vendues à plein tarif, dans le cas de No Man’s Sky le jeu était optimisé par des enfants de quatre ans sur PC… un fiasco total. Au final, les joueurs ayant eu une confiance aveugle envers ces deux titres se sont sentis floués, avec des jeux décevants qui avaient en plus le toupet (héhé) de proposer des micro-transactions dans le cas de Street Fighter V. Au final, plusieurs mois après, malgré un bon suivi sur Street Fighter V qui est largement plus étoffé, le jeu s’est écoulé à moins de 100.000 exemplaires depuis Mai 2016 (il est sorti en Février 2016), pour un total de 1.4 millions d’exemplaires distribués (et pas vendus, comme d’hab). Il est donc pour l’heure moins vendu que le très critiqué Street Fighter X Tekken qui avait lui aussi subit le bad buzz des DLC excessifs, trop la honte.

Street Fighter V a eu une grosse mise à jour ajoutant un mode Story
Street Fighter V a eu une grosse mise à jour ajoutant un mode Story

No Man’s Sky de son côté a connu un lancement plus que réussi, allant même jusqu’à avoir été le deuxième meilleur lancement pour un jeu PS4 au Royaume-Uni, mais non content de dégringoler par la suite, le jeu et ses développeurs sont devenus de vraies victimes d’Internet, subissant encore la hargne des joueurs qui se sont sentis trahis par les fausses promesses d’Hello Games. Alors attention, No Man’s Sky à l’inverse des jeux décriés jusqu’à maintenant est un jeu réalisé par une toute petite équipe, mais le marketing et les promesses derrière le titre n’avaient pas cette modestie, de même pour son prix. Cette semaine les développeurs du titre ont annoncé la Foundation Update, une grosse mise à jour attendue, mais aussi l’occasion pour les détracteurs de remettre de l’huile sur le feu. Le mal est fait.

Chat échaudé craint l’eau froide

Ce genre de bad buzz provoque un phénomène économique bête et méchant : les éditeurs ont fait monter une hype, les revendeurs ont acheté des palettes d’exemplaires, mais les jeux ne se vendent pas autant que prévu, alors les prix sont cassés pour écouler le stock. Street Fighter V s’est très vite retrouvé à 20/30 balles selon les revendeurs durant différentes opérations moins de trois mois après sa sortie, dans un autre genre, Doom sorti il n’y a pas si longtemps se trouve à 20€ en neuf. Pour le coup Doom n’est (apparemment) pas un mauvais jeu, on ne cesse de me vanter les mérites de son solo, mais comme d’habitude Bethesda a fait monter la sauce dans le vent. Fallout 4 du même éditeur a connu le même problème l’année dernière. Il est lui aussi trouvable à une vingtaine d’euros en neuf maintenant.

Alors, à part si on est un très gros fan, pourquoi passer à la caisse Day One ? Il semble y avoir une prise de conscience autour de ce débat, en témoignent les ventes des gros titres de fin d’année pour le moment, mêmes gros titres qui se sont retrouvés en soldes la semaine dernière pour le Black Friday. Victime des erreurs des derniers AAA, le pourtant adulé Dishonored 2 d’Arkane Studios était trouvable à 35€, même combat pour Watch Dogs 2 qui souffrant sûrement de la désillusion provoquée par le premier épisode, a connu des réductions exceptionnelles lui aussi.

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Titanfall 2, Dishonored 2, Watch Dogs 2, des jeux qui n’ont pas deux mois et qui sont déja bradés

Un vendeur de Game au Royaume-Uni a tiré la sonné d’alarme il y a peu, évoquant le fait les consommateurs attendaient le Black Friday, ce qui explique le lancement catastrophique de ces jeux, mais le problème n’est-il pas plus profond ? N’est-ce pas plutôt que les consommateurs en ont assez de mettre de grosses sommes dans des jeux décevants ? Si les quantités étaient distribuées de façon plus raisonnables pour ne pas gonfler les chiffres artificiellement (coucou Mafia III), arriverions-nous à de telles démarques ? Le jeu vidéo « populaire » se consomme vite, il périme rapidement, peut-on reprocher au consommateur de vouloir payer le moins cher possible pour un titre qui ne perdurera pas plus d’un an ? Regardons du côté de chez Nintendo, la firme a toujours eu pour politique d’être intransigeant sur le prix, ils n’ont pas à faire face à ce problème, Pokémon Soleil & Lune a explosé des records partout, les gens savent qu’il ne baissera pas de prix et qu’il perdurera jusqu’au prochain épisode. Iwata défendait lui-même cette politique.

Alors bien sur le propos est à modérer, comme dit au dessus, ce qui arrive à Dishonored 2 est dommage, il ne méritait sûrement pas ce bide. De l’autre côté, vous avez FIFA 17 qui s’est encore vendu par méga palettes alors qu’il sera à 10 balles d’occasion dans 10 mois, il y a encore de la route à faire avant que la logique mercantile imposée par les éditeurs s’écroule. Mais lorsque l’on voit Ubisoft se calmer sur les Assassin’s Creed après un Unity blindé de bugs en Day One et un Syndicate usé avant même sa sortie, ou que l’on voit Activision faire les plus mauvaises ventes de Call of Duty en première semaine depuis 2008, on se dit que le vent peut encore tourner.

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